La femme de Roger Rabbit a tout de la Barbie : proportions impossibles et fantasmatiques, visage innocent. Mais faut-il s'en remettre aux apparences, ne croire qu'elles ? Pas dans ce film où l'exterminateur de Toons se révèle être un Toon ni où le testament qui va tout changer est écrit avec de l'encre sympathique !
Il faut regarder au-delà, écouter ce que dit Jessica Rabbit, et ce qu'elle fait. Mais soyons clairs : loin de moi l'idée que ce personnage excuse qu'on dessine toutes les femmes de cette façon !
Le film se déroule à la fin des années 40, où le destin d'une femme est d'être, avant tout, une épouse. Jessica Rabbit n'échappe pas à la règle, elle est mariée à Roger Rabbit, rien de très révolutionnaire. Et ce bien qu'il soit un lapin, on est chez les Toons tout est possible ! Mais Jessica s'illustre un peu : elle n'est pas seulement épouse, elle est aussi une femme qui travaille.
Elle travaille, certes, mais dans un cabaret me direz-vous. Un cabaret où elle chante « Why don't you do right ? », une chanson qui s'adresse à un homme qui ne comprend pas très bien pourquoi il n'a plus un sou. En substance, la chanson l'encourage à se bouger le cul et à trouver de l'argent...à celle qui chante. Ce n'est pas féministe, non, mais ça donne une image de femme qui ne se laisse pas faire... C'est déjà un début !
Les hommes se damneraient pour Jessica Rabbit, et plutôt que de se laisser tripoter en gloussant, elle joue de ce désir, renverse le pouvoir. Au cabaret, quand un des spectateurs se lève de sa chaise, visage tendu vers elle, elle repousse ledit visage d'une main ferme, l'obligeant à se rasseoir, sans même lui accorder un regard. Une femme fatale, donc. Comme il y en a d'autres. Mais les autres, ne les verrait-on pas finir dans les bras ou le lit du héros, baissant la garde, se soumettant enfin ? Jessica est certes mariée, mais pas soumise. Quand son mari se met en danger, elle ne rentre pas à la maison en lui disant de faire attention à lui avant de cuisiner le dîner et de disparaître du film. Elle prend une poêle à frire, attend son mari en bas des bureaux, l'assomme et le range dans le coffre de la voiture. Jessica Rabbit prend son destin en main. Avec une poêle à frire, certes, ça reste une arme connotée « cuisine » et donc « femme, retourne à ta cuisine ». Mais la poêle devient une arme, elle détourne l'objet et avec, le cliché...
Retournons au cabaret. Loin de moi l'idée de dire qu'une femme pour être femme doit repousser les hommes. Je pense plutôt que pour être un être humain libre on doit repousser ou attirer les gens selon qu'on en a envie ou pas, le tout dans le respect de l'autre, point. Notre Jessica attire, et utilise cette attirance. Dans la salle, deux hommes l'intéressent et c'est autour d'eux qu'elle tourne, danse, parade. Il s'agit de Mr Acme et d'Eddy Valiant. Elle a besoin de plaire au premier pour répondre au chantage qu'elle subit afin de protéger son mari. Le détective quant à lui, lui est nécessaire pour prendre les photos utiles au chantage, et plus tard, pour retrouver Mr Rabbit.
Toujours dans le cabaret, on trouve Betty Boop, devenue serveuse, détrônée par le passage du noir et blanc à la couleur. Lorsqu'Eddy Valiant s'étonne de l'union des Rabbit, Betty Boop lui répond « yeah, what a lucky girl », « quelle chance elle a ». On se serait attendus au commentaire inverse : « quelle chance il a ce lapin, de se taper une nana aussi bonne ! » (ou quelque chose dans un langage plus soutenu mais au sens similaire). Mais non, c'est la fille qui a de la chance d'avoir ce mari si drôle ! Qu'importe le physique : il est drôle ! Superficielles, les femmes fatales ?
Comme le dit Jessica elle-même « You've got the wrong idea about me, Mr Valiant », « Vous avez une fausse idée de moi, Mr Valiant ». Ne nous laisse-t-elle pas entendre qu'elle n'est pas QUE sa plastique ? Plus loin elle ajoute : « You don't know how hard it is to be a woman looking the way I do », « Vous ne savez pas comme c'est dur d'être une femme avec le physique que j'ai ». Bêtement Eddy Valiant lui répond qu'elle ne sait pas comme c'est dur d'être un homme qui regarde une femme qui a le physique qu'elle a. De telles formes peuvent être un fardeau, nous dit-elle. Pourquoi ? La réplique d'Eddy y répond parfaitement : parce que les hommes, les humains, n'arrivent pas à voir au-delà, à dépasser les apparences, à l'écouter, elle, au lieu d'être aveuglé par ses formes. N'est-ce pas un peu de féminisme, qu'on voit poindre ici ? « Moi aussi j'ai un cerveau, je suis autre chose que mes seins/mes fesses/ma cambrure/un bout de viande », c'est bien une affirmation féministe, non ? Ce n'est pas clairement dit, mais c'est sous-entendu... C'est un début !
Encore une citation pour la route : « I'm not bad, I am just drawn that way », « Je ne suis pas méchante, je suis juste dessinée comme ça ». Eddy la soupçonne de meurtre, entre autres, parce qu'elle est trop sexy pour être honnête, un ravissant délit de faciès. Là encore, elle nous demande de voir au-delà des apparences, de plutôt chercher à savoir ce qu'elle a vraiment dans la tête plutôt que ce qu'on veut y coller.
Jessica Rabbit n'est pas non plus ce qu'on pourrait attendre d'une jolie femme mêlée à un meurtre et diverses histoires de magouillages à la fin des années 40. Elle n'est pas une « James Bond Girl », créatures qui sévissent depuis 13 ans quand sort le film. Pour empêcher un assassinat elle n'appelle pas le sauveur à la rescousse : elle y va elle-même ! Trop tard certes, mais comme vous devez commencer à le comprendre, « ce n'est qu'un début », une lente évolution de l'image de la femme. Et dans « lente évolution », il y a « lente ».
Elle n'est pas non plus la gourde qui se fait enlever dès que le héros a le dos tourné. C'est en compagnie d'Eddy qu'elle est capturée. Et quand son mari vient à la rescousse, il ne vaut pas mieux qu'elle et ils sont ligotés ensemble. Un peu d'égalité dans ce monde de brutes... Un peu.
Finissons avec cette image : quand Jessica est fouillée à la recherche du fameux testament, où la hyène cherche-t-elle en premier ? Mais dans le (gigantesque) décolleté de la dame voyons ! Et il en est pour ses frais puisque sa main en ressort prise dans un piège à loups !
Jessica Rabbit n'est donc pas tout à fait une insulte au féminisme... Elle est l'indice d'une (un peu trop) lente évolution.
C'est déjà ça, même si la plupart des spectateurs continuent à ne voir que la plastique de rêve... Pour ma part, je ne l'ai jamais trouvée jolie, trop artificielle, trop impossible.